
Commentaire de l’Incipit : Autoportrait en chevreuil.
Auteur | Victor Pouchet |
Edition | Finitude |
Genre | Contemporain |
Nb de pages | 169 |
Publication | Août 2020 |
Résumé : Avril s’inquiète pour Elias. Elle l’aime, mais il est si secret, si étrange parfois. Craintif, aussi. Elle voudrait comprendre ce qui le tourmente, ce qui l’empêche de vivre pleinement.
Mais comment Elias pourrait-il lui confier ce qu’a été son enfance ? Pas facile, dans un petit village, d’être le fils du « fou ». De celui qui se dit magnétiseur, médium ou même paradoxologue et qui fait subir à sa famille la tyrannie de ses discours et de ses délires.
L’amour d’Avril suffira-t-il pour qu’Elias échappe à cette enfance abîmée ?
Vous pouvez lire le début ici !
A quel point notre éducation influence-t-elle notre avenir ? C’est le thème principal choisi par Victor Pouchet dans son roman Autoportrait en chevreuil. L’extrait que nous allons étudier est l’incipit de l’œuvre. Il s’agit d’un passage de la vie d’Elias, le personnage principal, raconté par lui-même. Dans ce passage, il nous raconte l’un des moments passés dans leur chambre avec sa petite amie Avril. Tandis qu’elle lui fait part d’une idée qu’elle a tirée d’un reportage sur les tsiganes, Elias semble perdu dans ses pensées à observer ce qui l’entoure. Un premier indice pour comprendre la personnalité du protagoniste. Nous sommes intégrés in medias res dans le récit. Nous pourrions nous demander, après lecture, par quels procédés cet incipit nous amène t-il vers la piste de ce héros bancal à la recherche de ses souvenirs d’enfance ?
Dans cet incipit, l’action apparaît dès la première phrase en nous lançant dans un dialogue entre le narrateur et une certaine Avril. Il est donc dynamique. « « Tu pourrais mettre le feu à la caravane » m’a dit Avril. ». L’auteur nous présente ici son premier choix de narration. Il s’agit d’un narrateur autodiégétique, en effet le héros raconte sa propre histoire. Son point de vue est interne et cela se remarque dans le verbe de perception suivant « J’étais en train de tracer » mais aussi par l’expression de sa pensée « je trouvais l’histoire un peu simple. » Il raconte un moment de sa vie et retranscrit les paroles d’Avril au discours direct. Il utilise également le discours indirect « Elle m’a demandé d’éteindre la lampe de chevet » toujours dans cette idée de continuité dans le récit et de ne pas interrompre son dynamisme.
Il y a une mise en place de l’action qui marque la curiosité par les procédés précédents. En effet, la personne d’Avril nous est montrée du point de vue interne du narrateur, ce qui ajoute un mystère sur son identité et leur éventuelle liaison. Nous avons aussi une annonce progressive du sujet par le suspense produit « mais elle ne pouvait pas savoir ». Cela implique une certaine complicité entre le lecteur et le narrateur, il nous confie lui en vouloir. Cette complicité s’applique au texte entier puisqu’il semble nous raconter un moment de sa vie. Cela se remarque par l’utilisation de l’imparfait et du passé composé « Nous étions », « elle a repris ».
L’auteur vient ensuite éveiller la curiosité du lecteur par l’annonce d’un élément important du récit « mes trucs de l’enfance » et clarifier l’intrigue à propos de « la caravane ». Il s’agit en réalité d’informations éparpillées sur le texte qui implique un travail de recherche d’indices après une première lecture du roman. Comme nous avons pu l’apprendre, l’auteur dévoile les pensées d’Elias comme lui reviennent ses souvenirs et c’est ce que nous verrons dans notre deuxième partie.
Dans cette seconde partie, nous allons voir les effets de l’introspection du narrateur dont on ne connaît pas encore l’identité. Dans son récit de l’événement, il décrit, toujours de son point de vue, les éléments de la pièce mais également le rite tzigane que Avril semble lui avoir raconté. « une fuite d’eau y avait propagé des écailles et des taches étranges dans lesquelles s’inscrivaient des formes imaginaires » celle-ci à dans un premier temps une fonction diégétique décorative puisqu’elle nous place dans le décor « Nous étions au troisième étage d’un immeuble en pierres solides (…) dans nos draps défaits », et dans une deuxième temps explicative parce qu’elle est donnée du point de vue du narrateur. En effet, nous pouvons déceler dans cet incipit, une sorte de réalisme subjectif puisque Elias décrit du réel ce qu’il voit. Cependant, cette perception « étrange », « formes imaginaires » dévoile dès lors une réflexion approfondie. Le narrateur est en pleine conversation mais il se laisse à sa rêverie en regardant le plafond de sa chambre. Encore une fois le point de vue laisse un mystère sur le personnage d’Avril, ce qui nous convainc dans l’idée que le récit même tournera autour du narrateur.
Dans ses réflexions, nous pouvons remarquer une sorte d’intertextualité. En effet, il semble la tête ailleurs et à priori dans les souvenirs de sa vie qu’il va nous raconter par la suite. L’intertextualité se forme après qu’il ait entendu cette phrase « On dirait que t’es en apnée à vingt mille lieues sous la mer. » référence au livre du même titre. Ainsi le champ lexical de la mer reviendra « sous-marins », « eaux profondes » par plusieurs fois. Et l’idée semble se dégager au fur et à mesure à partir de ce moment du texte. Le narrateur semble coincé au fond de l’eau et tente de « remonter à la surface » pour retrouver ce cocon. Comme le capitaine Nemo face à la créature sous-marine, Elias affronte ses démons, à priori ceux de son enfance. Ce qui nous amène à une troisième partie qui nous montre que tous les éléments sont déjà présents pour nous dévoiler les sujets traités dans ce roman.
La façon dont Elias nous explique la chose est très intéressante. Celui ci est d’abord présenté comme un personnage bancal et lâche. « J’ai regardé le plafond : une fuite d’eau y avait propagé des écailles et des taches étranges dans lesquelles s’inscrivaient des formes imaginaires que je m’étais mis à aimer comme des amis proches et sous-marins. » Il s’identifie aux tâches étranges comme quelqu’un de différent vu par la société, quelqu’un qui vit de son traumatisme coincé au fond de la mer. Lorsque Avril lui parle de « ses trucs de l’enfance » il semble fuir le propos « Pour détourner la conversation ». Cependant, il semble vouloir se libérer de ce problème grâce à elle.
En effet, dès le début de l’incipit, Elias semble fasciné par les formes de sa compagne « je cherchais déjà le meilleur chemin vers l’équilibre universel » ce qui le place déjà loin de son problème. Cette citation pour presque être synonyme de : c’est toi qui me relie à la vie, c’est grâce à toi que je vais m’en sortir. Dans ce cas, la solution du roman serait donnée dès l’incipit. « J’ai respiré profondément, j’espérais qu’elle remarquerait comme j’étais capable de remonter à la surface pour reprendre de l’air entre deux plongées en eaux profondes. » Dans cette deuxième phrase, la volonté de s’en sortir et de le prouver du narrateur confirme notre propos.
D’autres phrases peuvent cependant nous contredire. « Avril trouve que « mes trucs de l’enfance » prennent toute la place. » De manière générale, et c’est appuyé par le présent, cela montre que c’est toujours le cas après qu’il ait raconté ce moment de son parcours. « Avril racontait des histoires, on perdait toute impression de gravité, et elle évoquait ces existences nomades qui partaient en fumée comme elle aurait pu détailler une anecdote entendue au bureau » Celle-ci montre que Avril ne connaît pas son problème d’enfance, comme une anecdote de bureau, elle ne prend pas de pincette à parler d’un sujet qui est pour lui sensible. Bien que pendant qu’elle raconte il ne pense plus à rien d’autre qu’à l’écouter, la scène est contradictoire parce que le sujet nous ramène à ce traumatisme de l’enfance. C’est une référence au « grand accident », incendie qui a donné la mort à son petit frère. Elle semble cependant l’aider. Nous comprenons que le sujet est confus dans l’esprit du personnage principal, il souhaite passer outre son problème mais n’y arrive pas quand la chose devient concrète. A l’image des choses qu’il a vécu enfant et à la réalité de la vie d’adulte à laquelle il fait face.
Le texte dévoile une dualité entre les éléments du feu et de l’eau. Avec le champ lexical de la mer que nous avons évoqué précédemment, mais aussi avec le champ lexical de la fumée. Nous avons la synecdoque de brûler avec la phrase « Partaient en fumée » mais aussi avec la métaphore in absentia « le récit d’une vie brillent une dernière fois ». Ces deux éléments semblent régir un ordre dans la pensée du protagoniste. Tandis qu’il se protège de ses souvenirs au fond de la mer, le feu semble attaquer son esprit et le confronter à son passé.
Il y a dans la parole des deux personnages, un présent de vérité général qui n’est pas sans rappeler un thème abordé lors de notre rencontre avec l’auteur qui est celui des différentes croyances dans le roman. Nous retrouvons plusieurs théories d’Avril « Ça sauvegarde l’équilibre universel », tirée d’un ancien rite tzigane, « Mais peut-être qu’il faut parfois accepter les simples fables simples » notion de fables qui fait référence à la suite du roman. Ici le subjonctif de « devoir » peut marquer la nuance sur le fait d’accepter ce à quoi l’on ne croit pas pour passer outre. Elias semble d’ailleurs fasciné par Avril comme par son père lorsque tous deux lui racontent leur vision de la vie. Comme son père souhaite en faire un adulte sans mauvaises ondes, capable voler de ses propres ailes, elle souhaite l’aider à brûler ses traumatismes de l’enfance pour mieux apprécier leur vie à deux. Toujours au sujet des fables, pour Elias « tout est en désordre » et cela parce qu’il a assimilé les fables de son père qui ne sont pas forcément les siennes ni celle d’Avril. Mais lorsqu’ils sont ensemble dans leur cocon, c’est la ou les choses comptes et rentre dans l’ordre. D’où la figure qui se répète en fin de texte « tout n’était pas en désordre », ce qui marque la solution au point final du roman.
Pour conclure, Pouchet nous dévoile le personnage d’Elias et les différents thèmes abordés dans son roman par les spécificités de sa plume. Tout d’abord par la présence d’un narrateur autodiégétique dans un incipit dynamique. Mais aussi par la focalisation interne et les introspections de ce narrateur. Et enfin, l’auteur dissémine des indices dans les réactions, dans l’intertextualité, dans les champs lexicaux et dans la construction de ses phrases.

Ils n'auraient pas dû

Manifeste pour une poétique nouvelle.
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